lundi 2 janvier 2023

Changer: méthode E. Louis

Il est minuit trente-trois  et je commence à écrire depuis cette chambre sombre et silencieuse. Dehors à travers la fênetre ouverte j'entends des voix dans la nuit et les sirènes de police, au loin. J'ai vingt six ans et quelques mois, la plupart des gens diraient que ma vie est devant moi, que rien n'a commencé encore et pourtant je vis depuis longtemps déjà avec l'impression d'avoir trop vécu; j'imagine que c'est à cause de ça que le besoin d'écrire est si profond, comme une manière de fixer le passé dan l'écrit, et par là, je suppose, de s'en débarrasser; ou peut-être, au contraire, que le passé est tellement ancréen moi maintenant qu'il m'impose de parler de lui, à tous les instants, à chaque occasion, qu'il a gagné sur moi et qu'en croyant m'en débarrasser je ne fais que renforcer son existence et son empire sur ma vie, peut-etre que je suis pris au piège- je ne sais pas.

Changer : méthode est le récit fascinant et bouleversant de ce “comment changer” – de nom, de corps, d’accent, de tout – pour changer de vie, échapper à la pauvreté mais aussi à la violence, à l’exclusion. Il y a d’abord l’homosexualité comme moteur : parce que quand on est moqué, incompris, traité de “grosse pédale”, humilié, privé d’un espace pour que son désir et sa liberté s’exercent, on va chercher ailleurs, on veut fuir. Et puis il y a les rencontres, les passeurs : l’amitié fusionnelle avec Elena, une jeune fille dont la mère lit, écoute de la musique classique, issue d’une famille pour qui l’art et la culture vont de soi, contrairement au milieu de l’auteur. Il y a une conférence de Didier Eribon à Amiens, où celui qui s’appelle encore Eddy Bellegueule étudie, qui se transformera en lien intellectuel, puis en amitié ; il y a les hommes rencontrés qui vont l’aider socialement.Il y a surtout l’art d’imiter ceux et celles que l’on admire pour devenir comme eux·elles. Il y a le pari sur les études, le travail forcené, Paris comme phare dans la nuit, le désir obsessionnel de se réinventer, la littérature comme arme ultime pour exister.

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