samedi 26 avril 2008

Partir Tahar ben Jelloun

A Tanger, l'hiver, le café Hafa se transforme en un observatoire des rêves et de leurs conséquences. Les chats des terrasses, du cimetière et du principal four à pain du Marshan se réunissent là comme pour assister au spectacle qui se donne en silence et dont personne n'est dupe. Les longues pipes de kif circulent d'une table à l'autre, les verres de thé à la menthe refroidissent, cernés par des abeilles qui finissent par y tomber dans l'indifférence des consommateurs perdus depuis longtemps dans les limbes du hashich et d'une rêverie de pacotille. Au fond d'une des salles, deux hommes préparent minutieusement la potion qui ouvre les portes du voyage.

jeudi 24 avril 2008

Contours du jour qui vient Léonora Miano

Il n'est que des ombres alentour, c'est à toi que je pense. Non pas qu'il fasse nuit, et que les vivants aient soudain épousé les couleurs du moment. Il aurait pu en être ainsi, si le temps prenait encore la peine de se fractionner en intervalles réguliers: secondes, minutes, heures, jours, semaines... Mais le temps lui-même s'est lassé de ce découpage. Le temps a bien vu comme nous toutes, comme moi, que pareil décompte ne faisait pas de sens. Pas ici où nous sommes. Qu'il y ait un matin ou qu'il y ait une nuit, tout est semblable. Il n'est plus que des ombres alentour, je suis l'une d'elles, et c'est à toi que je pense.

vendredi 18 avril 2008

Ce que nous voile le voile Régis Débray

Qu'on le veuille ou non, l'Education nationale sert en France d'avant-poste au maintien d'un ressourcement égalitaire bénéfique aux plus démunis, et aux tenants d'un islam de France. Le bouclier laïque sauvergarde un refuge ouvert à tous, non pas pluri-mais trans-communautaire. Il est d'autant plus appréciable que ce qu'il met à l'abri n'est pas une arrogance ethnocentrique mais la faculté offerte à quiconque, Français de première ou de dixième génération , étranger, Européen ou non, de moduler à loisir son identité, ou d'en croiser plusieurs, par une pratique exercée du libre examen.

dimanche 13 avril 2008

L'immeuble Yacoubian Alaa El Aswany

Cent mètres à peine séparent le passage Bahlar où habite Zaki Dessouki de son bureau de l'immeuble Yacoubian, mais il met, tous les matins, une heure à les franchir car il lui faut saluer ses amis de la rue: les marchands de chaussures et leurs commis des deux sexes, les garçons des cafés, le personnel du cinéma, les habitués du magasin de café brésilien. Zaki bey connaît par leur nom jusqu'aux concierges, cireurs de souliers, mendiants et agents de la circulation. Il échange avec eux salutations et nouvelles. C'est un des plus anciens habitants de la rue Soliman-Pacha. Arrivé à la fin des années 1940, après ses études en France, il ne s'en est plus jamais éloigné. Pour les habitants de la rue, c'est un aimable personnage folklorique, vêtu été comme hiver d'un complet dont l'ampleur dissimule un corps maigre et chétif, une pochette soigneusement repassée et assortie à la couleur de la cravate dépassant de la poche de la veste, son fameux cigare à la bouche -du temps de sa splendeur, c'etait un luxueux cigare cubain, maintenant il fume un mauvais spécimen local à l'odeur épouvantable et qui tire mal-, son visage ridé de vieillard, ses épaisses lunettes, ses fauses dents brillantes et ses cheveux teints en noir dont les rares mèches sont alignées de gauche à droite pour cacher un cràne dégarni. En un mot, Zaki Dessouki est un personnage de légende...

jeudi 3 avril 2008

La Mort du roi Tsongor de Laurent Gaudé

D'ordinaire,Katabolonga était le premier à se lever dans le palais. Il arpentait les couloirs vides tandis qu'au-dehors la nuit pesait encore de tout son poids sur les collines. Pas un bruit n'accompagnait sa marche.Il avançait sans croiser personne,de sa chambre à la salle du tabouret d'or.Sa silhouette était celle d'un être vaporeux qui glissait le long des murs. C'était ainsi. Il s'acquittait de sa tâche, en silence, avant que le jour ne se lève.
Mais ce matin-là, il n'était pas seul. Ce matin-là, une agitation fiévreuse régnait dans les couloirs. Des dizaines et des dizaines d'ouvriers et de porteurs allaient et venaient avec précaution, parlant à voix basse pour ne réveiller personne. C'était comme un grand navire de contrebandiers qui déchargeait sa cargaison dans le secret de la nuit. Tout le monde s'affairait en silence. Au palais de Massaba, il n'y avait pas eu de nuit. Le travail n'avait pas cessé.