mardi 24 novembre 2009

Ni d'Eve ni d'Adam A. Nothomb

Le moyen le plus efficace d'apprendre le japonais me parut d'enseigner le français. Au supermarché, je laissai une petite annonce:"Cours particuliers de français, prix intéressant".

Le téléphone sonna le soir même. Rendez-vous fut pris pour le lendemain, dans un café d'Omote-Sando. Je ne compris rien à son nom, lui non plus au mien. En raccrochant, je me rendis compte que je ne savais pas à quoi je le reconnaîtrais, lui non plus. Et comme je n'avais pas eu la présence d'esprit de lui demander son numéro, cela n'allait pas s'arranger. "Il me rappellera peut-être pour ce motif", pensai-je.

Il ne me rappela pas. La voix m'avait semblé jeune. Cela ne m'aiderait pas beaucoup. La jeunesse ne manquait pas à Tokyo en 1989. A plus forte raison dans ce café d'Omote-Sando, le 26 janvier, vers quinze heures.
Je n'étais pas la seule étrangère, loin s'en fallait. Pourtant, il marcha vers moi sans hésiter.
- Vous êtes le professeur de français?

dimanche 22 novembre 2009

Une gourmandise M. Barbery


Les Français sont souvent , en matière de vin, d'un formalisme qui frise le ridicule. Mon père m'avait amené, quelques mois plus tôt, visiter les caves du Château de Meursault: que de faste! Les arceaux et les voûtes, la pompe des étiquettes,le miroitement cuivré des râteliers, le cristal des verres constituaient autant d'arguments pour la valeur su vin, mais autant d'obstacles à mon plaisir de le goûter. Parasité par ces intrusions luxueuses du décor et du décorum, je ne parvenais pas à démêler ce qui, du liquide ou de l'entour, venait taquiner ma langue de son aiguillon somptuaire. A vrai dire, je n'étais pas encore très sensible aux charmes du vin : mais trop conscient que tout homme de bien se doit d'en apprécier la dégustation quotidienne, je n'avouais à personne, dans l'espoir que les choses finiraient par prendre le bon chemin , que je ne retirais de l'exercice que de biens médiocres satisfactions.

jeudi 12 novembre 2009

Ce que le jour doit à la nuit de Y. Khadra

Mon père était heureux.
Je ne l'en croyais pas capable.
Par moments, sa mine délivrée de ses angoisses me troublait.
Accroupi sur un amas de pierraille, les bras autour des genoux, il regardait la brise enlacer la sveltesse des chaumes, se coucher dessus, y fourrager avec fébrilité. les champs de blé ondoyaient comme la crinière de milliers de chevaux galopant à travers la plaine. C'était une vision identique à celle qu'offre la mer quand la houle l'engrosse. Et mon père souriait. Je ne me souviens pas de l'avoir vu sourire; il n'était pas dans ses habitudes de laisser transparaître sa satisfaction- en avait-il eu vraiment? ...Forgé par les épreuves, le regard sans cesse aux abois, sa vie n'était qu'une interminable enfilade de déconvenues; il se méfiait comme d'une teigne des volte-face d'un lendemain déloyal et insaisissable.