Le voyage de Mercier et Camier, je peux le raconter si je veux, car j'étais avec eux tout le temps.
Ce fut un voyage, matériellement assez facile, sans mers ni frontières à franchir, à travers des régions peu accidentées, quoique désertiques par endroits. Ils restèrent chez eux, Mercier et Camier, ils eurent cette chance inestimable. Ils n'eurent pas à affronter, avec plus ou moins de bonheur, des moeurs étrangères, une langue, un code, un climat et une cuisine bizarres, dans un décor n'ayant que peu de rapport, au point de vue de la ressemblance, avec celui auquel l'âge tendre d'abord, ensuite l'âge mûr, les avait endurcis.
Mercier et Camier (1946) écrit directement en français et extrêmement innovant au niveau de la composition et de l’écriture.
Mercier et Camier nous invitent au voyage. La contrée qu'ils vont
parcourir, une île jamais nommée, est parfaitement reconnaissable. C'est
l'Irlande avec ses landes de bruyères,
les jetées de ses ports lancées vers le large pour enlacer la mer, ses
sentiers parmi les tourbières, les écluses du canal de Dublin, tout un
paysage si cher à Samuel Beckett et si souvent présent en filigrane dans
toute son œuvre.
Le but du voyage de Mercier et Camier n'est guère
précis. Il s'agit " d'aller de l'avant ". Ils sont en quête d'un
ailleurs qui s'abolit dès qu'il est atteint. Leurs
préparatifs ont été extrêmement minutieux, mais rien ne se passe tout à
fait comme prévu. Il faut d'abord parvenir à partir ce qui n'est pas une
mince affaire. Il faudra ensuite rebrousser chemin pour moins mal se
remettre en route derechef. Il pleuvra énormément tout au long du
voyage. Ils n'ont qu'un seul imperméable à se partager et, après maints
efforts, leur parapluie refusera définitivement de s'ouvrir. Leur unique
bicyclette va bientôt être réduite à peu de chose : on a volé les deux
roues. Cependant, mille embûches ne peuvent les faire renoncer à quitter
la ville. Mercier et Camier vont nous entraîner par monts et par vaux,
et d'auberges en troquets où le whisky redonne courage. C'est qu'il faut
du courage pour affronter leurs rencontres souvent périlleuses avec des
personnages extravagants, cocasses ou inquiétants, voire hostiles, au
point qu'un meurtre sera commis. De quiproquos en malentendus, de
querelles en réconciliations, ainsi va le constant dialogue entre
Mercier et Camier qui devisent et divaguent chemin faisant.
Mercier
et Camier sont unis dans l'épreuve et, si différents que soient leurs
caractères, ils semblent à jamais indissociables. Cette solidarité
survivra-t-elle aux péripéties du voyage ?