jeudi 22 février 2024

Pour que je m'aime encore M. Madjidi

Adolescente, j'étais franchement laide. Une tête épouvantable. Mes cheveux frisés, épais, bouclés formaient une boule compacte sur ma tête, si compacte que le vent ne pouvait y pénétrer pour les soulever comme à la télé dans les publicités pour shampoing. Quand une de ces publicités passait, j'étais subjuguée et mes yeux envieux suivaient la danse des cheveux légers et doux qui glissaient entre les doigts comme de la soie ou du satin. Les miens formaient un casque inébranlable, invincible, aussi solide que les casques romains. Pour m'arracher un cheveu, il fallait tirer très fort. 

Ce qui frappe dès les premières pages, ce sont la spontanéité, la drôlerie et l'énergie avec laquelle Maryam Madjidi raconte son adolescence à Drancy et ses déboires corporels liés à sa tignasse ingérable, son monosourcil « barre de shit », sa pilosité envahissante, caractéristiques héritées de ses origines iraniennes. C'est rare de voir décrit le temps flottant de l'adolescence avec autant de justesse, d'autant plus qu'il y a peu de récit qui s'empare du féminin en banlieue. On rit beaucoup, mais derrière la cocasserie des anecdotes, émergent la profondeur et la subtilité à dire l'horreur ordinaire du déterminisme social vécu à hauteur d'enfant, notamment avec l'épisode, terrible, de la classe de neige où la jeune Maryam débarque sans avoir la tenue adéquate.

Maryam veut être comme les autres, elle ne veut plus de cette différence qui « dégage sa sale odeur », en permanence. Elle refuse ses origines, la culture de ses parents, sa pauvreté, sa banlieue. Elle ne rêve que de passer le périph'. Elle veut s'approprier son destin, s'ancrer dans la culture occidentale. Et pour prendre l'ascenseur social, elle fait le choix de l'école républicaine. Et c'est là que ça fait mal. L'auteure dénonce avec beaucoup d'énergie et de colère les failles du système scolaire français : dans les ZEP où se déploie une galerie effarante de professeurs dépassés ( « les guerriers vaincus » et les « guerriers fous » ).
Et puis, il y a les pages glaçantes des trois semaines d'hypokhâgne à Fénelon, avant de capituler face à l'impossibilité de rattraper dix ans de scolarité en banlieue, sidérée de se voir éjectée du « gâteau de l'élite » alors qu'elle pensait y avoir droit au nom de l'égalité des chances et de ses excellents résultats précédents. Un récit authentique, clairvoyant sans superficialité, parfaitement équilibré entre colère et mélancolie, humour et gravité, qui touche et fait réfléchir.

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