jeudi 1 juin 2023

Comme un ciel en nous J. Alikavazovic

La nuit du 7 au 8 mars 2020, je l'ai passée au Louvre, seule. Seule et à la fois tout sauf seule. Dans la section des Antiques. Dans la salle des Cariatides; même si j'ai été contrainte, au cours de la nuit, de déplacer mon lit de camp. Car les lieux ont une âme, les lieux ont une vie, surtout dans le noir; et il arrive que les endroits les plus visités, les plus arpentés, se déploient une fois vides et se vengent à leur façon, en chassant ceux qui auraient eu la présomption de s'attarder. Ou peut-être sentent-ils, ces lieux, que l'on n'a pas  la conscience entièrement tranquille. Que l'on n'a pas le coeur entièrement tranquille.

Livre personnel, original, traversé d’ombres nocturnes et de fantômes du passé, de glissades pieds nus sous la Vénus de Milo, ce livre joyeux et mélancolique, qui précise vite son intention : « Je suis venue ici cette nuit pour redevenir la fille de mon père. »
Quel père, en fait ? Celui, biologique, né en 1951 dans un village du Monténégro, alors une partie de la défunte Yougoslavie, qui vient à Paris par amour, par fuite, pour voir le Louvre, une ville dans la ville, un père qui ne sait pas bien parler le français et voit tout en noir et blanc. Celui, plus probable, le père exilé à qui l’on a dit que « sa fille ne parlera jamais français », l’esthète-pilleur qui se promène l’air de rien avec sa fille Jakuta au Louvre, et lui demande, lui transmet en héritage : « Et toi, comment t’y prendrais-tu pour voler la Joconde ? ».  En effet : comment ?

Aucun commentaire: