Au revoir là haut A.Dupontel
2017 France Comédie dramatique 1h55
Pour Albert Dupontel, l’adaptation d’Au revoir là-haut
constituait un pari risqué. Question de budget, d’abord : la
reconstitution de la Première Guerre mondiale puis des Années folles. Question de sujet, ensuite : comment l’acteur-réalisateur, créateur de
scénarios originaux, allait-il se débrouiller avec les mots,
l’imagination foisonnante d’un autre ?
Pari risqué mais gagné. Il n’y a qu’une scène de combat, mais c’est
l’une des plus impressionnantes jamais vues sur les tranchées. La
richesse et la beauté des décors et des costumes ne figent jamais le
film. Et Dupontel réussit à être fidèle à l’esprit — et souvent à la
lettre — du livre de Pierre Lemaître, tout en l’incorporant à son propre
univers.
Les grandes lignes du très touffu Prix Goncourt 2013 sont condensées
dans un récit qui file à la vitesse d’une balle. Un vrai
roman-feuilleton, avec ses héros brisés qui tentent de se reconstruire,
son salaud que l’on adore haïr (le très suave Laurent Lafitte) et ses
nombreux personnages secondaires très typés (dont un drôle de
rond-de-cuir incorruptible, incarné avec fantaisie par Michel
Vuillermoz)… Juste avant l’armistice, deux poilus sont blessés lors
d’une dernière offensive inutile. Albert, modeste comptable (Dupontel
lui-même, dans son registre lunaire et maladroit), s’en sort avec des
égratignures après avoir été enterré vivant. Edouard, fils rebelle de
bonne famille, est, lui, défiguré (Nahuel Pérez Biscayart, le héros de 120 Battements par minute,
est génial dans ce rôle quasi muet : toute la palette des sentiments
passe par son regard). Après l’armistice, le premier, désormais chômeur,
fait croire à la mort du second et organise avec lui une arnaque
juteuse : les deux complices se font payer très cher pour concevoir des
monuments aux morts qui ne seront jamais construits.
L’anarchiste Dupontel s’en donne à cœur joie pour dénoncer les
ravages du patriotisme et le cynisme des puissants : grand moment du
film, une séquence de fête décadente dans un hôtel de luxe tourne au jeu
de massacre antibourgeois. Sa virulence politique est indissociable,
comme toujours, d’une profonde tendresse pour les marginaux. Le cinéaste
aime le burlesque mais n’a pas peur du mélo : il réussit à rendre très
émouvantes des scènes qui, sur le papier, avaient tout pour être
ridicules. Les couleurs sépia, une certaine tendance au pittoresque dans
l’évocation du Paris populaire font, parfois, redouter un excès de
joliesse — le Jean-Pierre Jeunet d’Un long dimanche de fiançailles
n’est pas loin. Mais Albert Dupontel parvient toujours à équilibrer
l’eau de rose et le vitriol. Avec, en prime, de formidables trouvailles
visuelles : à travers la collection de masques portés par Edouard pour
cacher sa gueule cassée, tout l’art moderne et la culture populaire du
début du XXe siècle défilent…Samuel Douhaire
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