En finir avec Eddy Bellegueule É. Louis
De mon enfance je n'ai aucun souvenir heureux. Je ne veux pas dire que jamais, durant ces années, je n'ai éprouvé de sentiment de bonheur ou de joie. Simplement la souffrance est totalitaire: tout ce qui n'entre pas dans son système, elle le fait disparaître.
Dans le couloir sont apparus deux garçons, le premier, grand, aux cheveux roux, et l'autre, petit, au dos voûté. Le grand aux cheveux roux acraché Prends ça dans ta gueule.
Le crachat s'est écoulé lentement sur mon visage, jaune et épais, comme ces glaires sonores qui obstruent la gorge des personnes âgées ou des gens malades, à lodeur forte et nauséabonde. Les rires aigus, stridents, des deux garçons Regarde il en a plein la gueule ce fils de pute. Il s'écoule de mon oeil jusqu'à mes lèvres, jusqu'à entrer dans ma bouche. Je n'ose pas l'essuyer. Je pourrais le faire, il suffirait d'un revers de manche. Il suffirait d'une fraction de seconde, d'un geste minuscule pour que le crachat n'entre pas en contact avec mes lèvres, mais je ne le fais pas, de peur qu'ils se sentent offensés, de peur qu'ils s'énervent encore un peu plus.
Il s'agit d'un récit autobiographique romancé d'un enfant de la classe ouvrière picarde, ce qui le différencie, son homosexualité, mal vécue dans sa famille et à l'école. Le livre se lit d'une traite, il est bien écrit, un jeune homme qui ira loin dans le monde littéraire.
Les détails crus, la pauvreté intellectuelle de la famille, un père homophobe,violent, au chomâge qui passe ses journées à boire des bières et regarder le foot à la télé; une mère pas très futée; il n'est pas étonnant que le jeune Eddy ne rêve que de fuir ce monde d'incultes bouseux...ce qu'il va faire grâce au théâtre et à l'école républicaine. «fuir est parfois plus difficile que de résister». Dans ce sens, le livre est peut-être courageux, il a le courage de
dévoiler avec force détails une enfance malheureuse à cause de cette
ambiance prolo.
Oui, mais pas subversif. A ce monde inculte auquel il échappe est opposé le monde lumineux des urbains bourgeois, homosexuels, éditeurs, écrivains, "intellos" parisiens qui semblent être la seule issue pour ne pas crever. Car, fuir revient à dire qu'il n'a pas d'autre issue de vie heureuse que de rallier les rangs de cette bourgeoisie confortable. L'ordre établi n'est jamais remis en question, s'en sortir est un acte individuel, on renie de son passé, de sa famille, on change son patronyme, on perd son accent, et le tour est joué.
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