Le café de l'Excelsior P.Claudel
"Mon grand-père tenait le Café de L’Excelsior, un bistro étriqué dont les mauvaises chaises et les quatre tables de pin rongées par les coups d’éponge composaient un décor en demi-teintes violines. L’endroit formait une enclave oubliée contre laquelle les rumeurs du monde, et ses agitations, paraissaient se rompre à la façon des hautes vagues sur l’étrave d’un navire. Tout y avait déjà la qualité de l’estompe, comme si le lieu s’apprêtait à se noyer dans un temps au fur et à mesure plus vorace, et qui ne tolérait ni la compassion pour les lieux inspirés, ni la noblesse des rares survivants qui ne cessaient de les hanter. Aujourd’hui, son souvenir en moi se pare d’ ailleurs d’un brouillard qui rend les traits confus. Je ne me souviens à vrai dire qu’incomplètement de L’Excelsior, ainsi que de mon grand-père : me reviennent pourtant avec la netteté franche que donnent aux émotions les amours électives, le dessin de ses mains rugueuses aux ongles souvent endeuillés de charbon, la masse écrasante de sa stature de chêne gaulois, et ses bons sourires, plissés du front au menton, accompagnant les mots q u’il me lançait après m’ a voir grondé pour quelques bêtises : « Va donc petit, je te pardonne, mange la vie car c’est du sucre à ton âge ! »
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