Les annéés A. Ernaux
Toutes les images disparaîtront. la femme accroupie qui urinait en plein jour derrière un baraquement servant le café, en bordure des ruines, à Yvetot, après la guerre, se renculottait debout, jupe relevée, et s'en retournait au café la figure pleine de larmes d'Alida Valli dansant avec Georges Wilson dans le film Une aussi longue absence l'homme croisé sur un trottoir de Padoue, l'été 90, avec des mains attachées aux épaules, évoquant aussitôt le souvenir de la thalidomide prescrite aux femmes enceintes contre les nausées trente ans plus tôt et du même coup l'histoire drôle qui se racontait ensuite: une future mère tricote de la layette en avalant régulièrement de la thalidomide, un rang, un cachet. Une amie horrifiée lui dit, tu ne sais donc pas que ton bébé risque de naître sans bras, et elle répond, oui je sais bien mais je ne sais pas tricoter les manches.
Cette
chronique de l'après guerre évoque par petites touches l'évolution de
la société française à travers les souvenirs de l'auteur et sa propre
expérience. Ecrit à la troisième personne, il porte un regard
presqu'extérieur sur la femme qu'elle était. Elle se souvient, de
conversations de table quand elle avait 6 ans, de la télévision qu'on
regardait au café du coin, de la première voiture et de ce type qui
vantait Paic Citron sur Europe 1, des vacances en Espagne si bon marché,
de 68 et de Sartre, de Kiri le Clown et de la petite ville normande où elle a grandi. Les couches de mémoire se sédimentent et Annie Ernaux exhume
60 ans d'impressions, de jalons qui marquent une époque, un moment du
temps.
Le récit d'Annie Ernaux est
très touchant. il nous renvoie à notre condition d'étoiles filantes qui
accumulent expériences, sensations, souvenirs et connaissances,
importantes ou dérisoires mais qui pour la plupart sont vouées à
disparaître avec nous et, en même temps, il rappelle de manière
saisissante ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue, ces
milliers de minuscules sensations, de plaisirs plus ou moins grands, de
secondes où le bonheur surgit d'un rayon de soleil ou d'une odeur
retrouvée.
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