mardi 18 août 2020

Babylone Y. Reza

Il est contre un mur, dans la rue. Debout en costume cravate. Il a les oreilles décollées, un regard effrayé, des cheveux courts et blancs. Il est maigre, les épaules étroites. Il tient bien visible une revue où on peut lire le mot Awake. La légende dit: Jehovah's Witness- Los Angeles. La photo date de mille neuf cent cinquante-cinq. Il avait l'air d'un garçonnet. Il est mort depuis longtemps. Il s`habillait convenablement pour distribuer ses bulletins religieux. Il était seul, habité par une persévérance triste et hargneuse. A ses pieds, on devine un cartable (on en voit la poignée). avec dedans les dizaines de bulletins que  personne ou presque ne lui prendra. Ce sont aussi ces bulletins imprimés en nombre déraisonnable qui rappellent la mort. Ces élans d'optimisme- trop de verres, trop de chaises...-qui nous font multiplier les choses pour les rendre aussitôt vaines. Les choses et nos efforts. Le mur devant lequel il se tient est gigantesque.

  C'est avec la description de la photo de Robert Frank que commence le livre qui raconte un drôle de meurtre chez les voisins du dessus. Mais au-delà du prétexte du récit, l’écrivaine parle de notre errance humaine, de notre exil de nous-même. Les ingrédients sont de qualité. Mais, problème d'agencement ou de dosage, le récit ne prend pas. Babylone me fait l'effet d'une série de vignettes à la fois chics et acides, assez brillantes d'ailleurs, mais qui peinent à former un ensemble cohérent.

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